lundi 12 septembre 2016

LOI TRAVAIL

Ce que nous dit le lynchage politique
et médiatique de la CGT
   
Rarement au cours des trente dernières années la CGT n'a eu à subir autant d'attaques à l'occasion d'un mouvement social que lors des mobilisations contre la loi travail. Occupant une place centrale dans la contestation, elle a été une des cibles privilégiées des attaques du gouvernement, du patronat et des grands médias. Ce changement de ton vis à vis de la première organisation syndicale du pays, qui compte plus d'adhérents que n'importe quel parti politique français, illustre un certain nombre de mutations au sein des sphères du pouvoir. Cette évolution marque avant tout une rupture symbolique pour la gauche de gouvernement, qui illustre l'aboutissement de la mue du parti socialiste en un parti totalement acquit à l'économie de marché et à la défense des intérêts de celle ci. Au même titre que ses concurrents à l'exercice du pouvoir, il assume pleinement son rôle à la tête de l'état de garant de l'ordre établi. L’attitude musclée de l'Etat vis à vis du mouvement contre la loi travail, CGT incluse, a confirmé les pratiques observées depuis une quinzaine d'années de criminalisation des actions syndicales ou politiques qui contestent ou contrarient l'ordre économique capitaliste. Cette tendance s’accentue et a pris une nouvelle dimension en ne s'attaquant plus seulement aux marges des mouvements de contestation, mais à leur ensemble et aux organisations les plus massives qui les structurent. Cette nouvelle réalité ouvre probablement une nouvelle ère dans la gestion des conflits sociaux qui pourrait sensiblement modifier les relations qu'entretiennent les organisations sociales avec les institutions.

Feu sur la CGT

La charge la plus brutale contre la CGT est venue du patronat par la voix de Pierre Gattaz, président du Medef, à l'occasion d'une interview donné au journal « Le Monde » à la fin du mois de mai. Dans le contexte de grèves dans les raffineries et les transports, il qualifie la CGT de syndicat à la dérive qui se radicalise, réclame le retour à l'état de droit, exhorte à ne pas céder au chantage, aux violences, aux intimidations et à la terreur, avant de dénoncer des minorités qui se comportent comme des voyous et des terroristes. Porté à la tête du Medef par l'IUIM, une des fédérations les plus anciennes, les plus dures et les plus controversées du patronat français, le patron des patrons a mis la barre très haute en comparant les militant-es de la CGT à des terroristes. Quelques mois seulement après les
attentats de Paris, la démesure de Pierre Gattaz a suscité des condamnations un peu gênées dans la classe politique. Ainsi la Ministre du Travail, Myriam El Khomry, s'est démarquée pour la forme du président du Medef en déclarant qu'elle ne « partageait absolument pas ces mots ». Pourtant celle-ci, tout comme le Premier Ministre Manuel Valls, a utilisé un champ lexical très proche. Dans un discours à l'Assemblée Nationale fin mai, le Premier Ministre affirmait que la CGT était dans un processus de radicalisation, suivi par sa Ministre du Travail presque mots pour mots. Myriam El Khomry parlait également de prise d'otages à propos des grèves, suivie par de nombreux membres de la majorité comme de l'opposition.

Le discours produit par le pouvoir fut relayé en boucle et repris à son compte sans aucune distance par les grands médias télévisuels et par les éditorialistes des grands titres de presse, donnant une impression de lynchage politique et médiatique. En plus d'un champ lexical renvoyant au terrorisme, la communication du gouvernement a pris soin de pilonner la CGT et son secrétaire général à chaque fois qu'elle en a eu l'occasion. Là aussi, les médias, l'opposition parlementaire et le patronat s'expriment à l’unisson. Une partie de ce discours s'est attaché à disqualifier la contestation du projet de loi, particulièrement au moment des grèves. Manuel Valls parlait de chantage à propos de cette forme de contestation, le ministre des finances d'alors, Michel sapin, évoquait des blocages illégitimes pendant que le Président de la République pointait des blocages d'une minorité. Les éditorialistes et les spécialistes invités sur les plateaux télés sonnèrent la charge sur une CGT dont les effectifs ne représenteraient pas les salariés, en prenant comme unité de mesure ses adhérents, laissant de coté les élections professionnelles qui mesurent son audience, notamment les élections prud’homales. Dans la même veine il fut donné à penser que l'objectif poursuivi par la CGT n’était pas le retrait de la loi, mais que celle ci s'était lancé dans la bataille seulement pour des raisons internes et d'audience auprès des salariés.

La CGT a été également particulièrement bousculée sur le terrain de la violence et des affrontements entre une partie des manifestant-es et les forces de police. Alors que de nombreux éléments tendent à accréditer la thèse selon laquelle le gouvernement a volontairement provoqué des situations de tensions (1), la CGT fût tantôt sommée par le gouvernement ou les journalistes de se justifier ou de condamner, mais aussi de mieux gérer le maintien de l'ordre, tantôt accusée de complicité, de complaisance et en tout état de cause d'être la responsable de cette situation. Comme si cela ne suffisait pas, pour siffler la fin du mouvement, la CGT a été accusé de fuite en avant, de jusqu'au boutisme et in fine d'irresponsabilité. Elle fut ainsi accusée directement ou indirectement de briser l'unité du pays autour de ses institutions dans une période où le pays fait face à la menace terroriste. Ce thème a été abordé de façon très virulente lorsque la CGT a dénoncé les violences des forces de l'ordre, notamment quand une de ses fédérations a publié une affiche avec un visuel explicite. En poursuivant la contestation par les voies syndicales classiques que sont les manifestations et les grèves, alors que le texte était toujours au Parlement, elle devint responsable de tous les maux : des violences, de gâcher l'Euro, de retarder la reprise économique - le « ça va mieux » de Hollande - et enfin de fragiliser le pays qui est alors sous le régime de l'état d'urgence, puis en proie aux inondations en région parisienne.

La CGT fut aussi, comme l'ensemble du mouvement de contestation de la loi travail, confrontée aux pratiques musclées de l'Etat. Le Premier Ministre a menacé de réquisition les travailleurs des raffineries, se mettant dans les pas de Nicolas Sarkozy qui avait eu recours à cette mesure controversée en 2010 dans le cadre des mobilisations contre la réforme des retraites (2). Plusieurs barrages et piquets de grève tenus par des syndicalistes ont été levés par la force suite à l'intervention des gardes mobiles ou des CRS, comme à Fos-sur-Mer, à Douchy les Mines ou encore au Havre. Pendant les manifestations, les cortèges de la CGT et ses militants n'ont pas été épargnés. Le 1er mai, journée internationale de lutte des travailleurs, le cortège fut coupé en deux par les forces de l'ordre. Le symbole fut marquant. A plusieurs reprises, dans plusieurs villes, les cortèges syndicaux se sont vus dans l'impossibilité d'aller au terme des parcours déposés des manifestations du fait de tirs de barrage de lacrymogènes empêchant d'accéder aux lieux de dispersion. Les arrestations provocatrices aux abords des cortèges syndicaux ou au moment de la dispersion ont également été nombreuses. Enfin, le gouvernement a tenté d'interdire la manifestation syndicale du 23 juin à Paris, ce qui représentait une première depuis la guerre d’Algérie (3). Globalement la CGT a eu à subir tout au long du mouvement, pressions, provocations et répressions. Évidement, toutes ces formes de répressions ont été encore plus massivement utilisées sur les franges les plus radicales ou tout simplement moins organisées ou plus spontanées du mouvement, comme la jeunesse, mais leur utilisation contre la première organisation syndicale du pays n'est pas un fait anodin.


Des stratégies gouvernementales novatrices

S'il est assez commun d'observer ces stratégies de communication et de répression lors de tous les mouvements sociaux d'importance, il est plus rare de les voir utilisées par un gouvernement de gauche dans la mesure où il y est moins souvent confronté. Non que la gauche n'ait jamais utilisé la force publique contre des mouvements sociaux ! Le gouvernement Rocard y a eu recours en octobre 1991 contre les infirmières en utilisant des canons à eau, de même que Lionel Jospin lorsqu'il était Premier Ministre d'un gouvernement de gauche plurielle, contre le mouvement altermondialiste. Mais ce type de manœuvres n'avait jusqu'alors jamais été appliqué à une si vaste échelle sous la Vème République, ni sur un mouvement d'une aussi grande ampleur, que cela soit par un gouvernement de gauche ou de droite. Surtout, le fait que ces moyens de communication et de répression prennent pour cible la principale force structurante de la contestation, plutôt que ses marges, représente une première. En règles générales, lorsqu'un gouvernement est confronté à un mouvement d'ampleur, il cherche à stigmatiser des éléments minoritaires, utilisés comme repoussoir, en s'attachant à les séparer des éléments majoritaires avec lesquels le dialogue doit rester ouvert. Dans ces cas là, le péril gauchiste, anarchiste ou autonome est le plus souvent mobilisé à cet effet. Pointer ces groupes politiques minoritaires, déjà relativement isolés dans la société, permet de justifier l'usage de la répression. Celle-ci remplit alors ses fonctions qui sont de diviser le mouvement tout en freinant ses possibilités de développement et d'élargissement. Les tensions lors des manifestations ont lieu d'ordinaire en fin de cortège ou après la dissolution par les organisateurs. Parfois, ce sont des catégories de salariés qui sont pointés du doigt sur le thème des privilégiés ou du corporatisme afin d’empêcher tout sentiment d'identification, mais jamais jusqu'ici des organisations ouvrières de masse dans leur ensemble. Il s'agit là d'un changement notable, qui tend à pousser la CGT à la marge voir au banc de la société. Que cette option novatrice ait été prise par un gouvernement socialiste montre autant son adhésion totale à la logique de l'économie de marché que sa déconnexion avec ses anciennes bases ouvrières et les organisations qui les structurent.

Appliquer à la CGT les méthodes habituellement réservées aux franges les plus radicales des mouvements sociaux interroge sur les intentions politiques du pouvoir. Manuel Valls a été en pointe dans cette stratégie de confrontation avec la CGT, personnalisant l'affrontement. L'autoritarisme dont le Premier Ministre est souvent accusé, peut expliquer partiellement les postures parfois martiales qu'a pris l'exécutif face à la CGT et à la mobilisation contre la loi travail en général. La ligne du Premier Ministre qui vise à une recomposition politique après 2017 parfaitement illustrée par ses déclarations de la mi-juin sur sa volonté de voir « une clarification à gauche et une clarification dans le syndicalisme » peut aussi donner le sentiment que sa vision personnelle de l'avenir a déterminé les choix du gouvernement. Pourtant, aucun rappel à l'ordre ou aucune voix réellement discordante ne s'est faite entendre ni dans le gouvernement ni au sommet de l'Etat. Le choix d'isoler et de pilonner la CGT fut à n'en pas douter un choix politique collectif. Par ailleurs, les rangs de l'opposition de droite ne sont pas non plus montés au créneau pour reprocher sa posture au Premier Ministre et sa gestion rugueuse du conflit, dessinant une large communauté de vues dans la classe politique prétendant à l'exercice du pouvoir. En réalité, l'exécutif a voulu infliger une défaite cinglante à la CGT et à la ligne défendue par son nouveau secrétaire général.

Affaiblir la CGT pour affaiblir la portée des conflits sociaux

Après l'épisode traumatique de l’ère Lepaon, la nouvelle direction confédérale élue début 2015 et confirmée lors de son congrès à Marseille en plein mouvement sur la loi travail, a pris une orientation plus ancrée dans les luttes et a partiellement tourné le dos à la stratégie du syndicalisme rassemblé qui faisait de l'alliance avec la CFDT, deuxième confédération syndicale du pays, un incontournable. Contrairement à ses prédécesseurs, son Secrétaire Général, Philippe Martinez, s'est rendu sur les piquets de grève, donnant un signal fort aux militant-es d'une direction engagée dans la bataille. L'implication effective de la CGT pour faire échec à la mise en place de la loi travail fut une mauvaise nouvelle pour le gouvernement. En effet, la CGT est une organisation charnière dans le champ syndical. Comme ses consœurs en Europe (UGT ou Commissions Ouvrières espagnoles et CGIL italienne) et comme la CFDT en France, elle s'est en partie engagée, malgré des contradictions internes, sur la voie de l'intégration aux rouages de l'économie de marché et aux règles de la régulation sociale fixées par les institutions, perdant une partie de sa capacité d'action pour contrecarrer les restructurations du capitalisme . Cependant la CGT n'a pas été totalement digérée et conserve un ancrage dans les luttes sociales. De par sa taille elle est la seule organisation syndicale qui a une surface et une implantation lui permettant encore de proposer de bloquer l'économie du pays et de contrer les volontés du pouvoir à accompagner les restructurations du capitalisme que met en œuvre le patronat.


L'enjeu pour le gouvernement fut de remettre la CGT dans le droit chemin de l'intégration et de la négociation en la menaçant de marginalisation. Le traitement spécifique auquel elle a eu droit visait à affaiblir l'orientation prise par sa direction en lui infligeant une lourde défaite. En étant inflexible sur la loi travail, le gouvernement faisait passer le message aux syndicalistes comme à l'ensemble des salariés que l'option combative n'amène pas de résultats. L'agressivité vis à vis de la CGT lui permettait de montrer que la confédération avait plus à perdre qu'à gagner dans ce combat. C'est cette place charnière de la CGT qui explique que les attaques aient été centrées sur elle plutôt que sur Force Ouvrière ou Solidaires. Le gouvernement s'est en même temps attaché à réduire au maximum le rapport de force contre la loi travail en déminant le terrain. D'abord en décrochant dès le mois de mars la CFDT, puis les associations étudiantes comme la FAGE, ensuite en annonçant des mesures en faveur des jeunes, puis des fonctionnaires en relevant le point d'indice gelé depuis des années, enfin en favorisant des accords sectoriels avec les routiers, les intermittents ou les cheminots pendant les grèves. En infligeant une défaite aux opposants à la réforme du code du travail, le gouvernement espère donner un coup de pousse aux organisations syndicales favorisant l'accompagnement. Il compte ainsi peser pour accentuer les reculs électoraux de la CGT dans plusieurs secteurs au bénéfice de la CFDT, et parie sur une redistribution des cartes dans le monde syndical qui soit plus favorable au pouvoir. Redessiner durablement le paysage syndical lui permettrait d'affaiblir les capacités d'expressions et de nuisances des conflits sociaux.

Tous les signes ont été donnés pendant la loi travail à la CGT pour lui signifier qu'il ne lui serait pas fait de cadeaux. Mais ce nouveau traitement avait commencé avant la contestation de la loi El Khomry et s'est poursuivie après la suspension des manifestations cet été. Déjà en octobre 2015, Manuel Valls et Emmanuel Macron étaient montés au créneau pour fustiger les syndicalistes lors du conflit d'Air France et de l'épisode de la chemise arrachée. Un traitement spécial était aussi réservé aux militants CGT de Goodyear, puisque le procureur général s'était substitué à l'entreprise pour les poursuivre pour séquestration, entraînant leur condamnation début 2016. Après la fin des manifestations, la Ministre du Travail a maintenu le licenciement d'un syndicaliste CGT d'Air France malgré l'opposition de l'inspection du travail. A la fin du mois d'août, c'est au tour de deux militants CGT du port du Havre d'être arrêtés par des policiers dépêchés de Paris. Ils sont accusés d'avoir commis des violences lors des manifestation du mois de juin. Ces mauvais coups, infligés à la CGT et à ses militant-es durant l'été, montrent que la stratégie du gouvernement reste inchangée et ne devrait pas se démentir avec la reprise des mobilisations programmée le 15 septembre si celles-ci reprennent de la vigueur.


(1) Le dossier de repoterre sur les violences policières, ainsi que de nombreux témoignages de manifestant-es, donne des éléments accréditant la thèse qu'une stratégie délibérée a été mise en place dès les premières manifestations pour susciter des affrontements entre la police et les manifestants. .

(2) En 2010, l'Organisation Internationale du Travail avait épinglé la France pour sa décision de réquisitionner des salariés des raffineries prise par le gouvernement Fillon, jugeant qu'elle portait une atteinte grave aux libertés syndicales.

(3) La dernière manifestation syndicale interdite en France remonte au 8 février 1962. Appelée par la CGT et des partis de gauche, cette manifestation contre le fascisme et pour la paix en Algérie avait été réprimée par la police, causant la mort de 8 manifestant-es au métro Charonne.

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