Ce
que nous dit le lynchage politique
et médiatique de la CGT
Rarement
au cours des trente dernières années la CGT n'a eu à subir autant
d'attaques à l'occasion d'un mouvement social que lors des
mobilisations contre la loi travail. Occupant une place centrale dans
la contestation, elle a été une des cibles privilégiées des
attaques du gouvernement, du patronat et des grands médias. Ce
changement de ton vis à vis de la première organisation syndicale
du pays, qui compte plus d'adhérents que n'importe quel parti
politique français, illustre un certain nombre de mutations au sein
des sphères du pouvoir. Cette évolution marque avant tout une
rupture symbolique pour la gauche de gouvernement, qui illustre
l'aboutissement de la mue du parti socialiste en un parti totalement
acquit à l'économie de marché et à la défense des intérêts de
celle ci. Au même titre que ses concurrents à l'exercice du
pouvoir, il assume pleinement son rôle à la tête de l'état de
garant de l'ordre établi. L’attitude musclée de l'Etat vis à vis
du mouvement contre la loi travail, CGT incluse, a confirmé les
pratiques observées depuis une quinzaine d'années de
criminalisation des actions syndicales ou politiques qui contestent
ou contrarient l'ordre économique capitaliste. Cette tendance
s’accentue et a pris une nouvelle dimension en ne s'attaquant plus
seulement aux marges des mouvements de contestation, mais à leur
ensemble et aux organisations les plus massives qui les structurent.
Cette nouvelle réalité ouvre probablement une nouvelle ère dans la
gestion des conflits sociaux qui pourrait sensiblement modifier les
relations qu'entretiennent les organisations sociales avec les
institutions.
Feu
sur la CGT
La
charge la plus brutale contre la CGT est venue du patronat par la
voix de Pierre Gattaz, président du Medef, à l'occasion d'une
interview donné au journal « Le Monde » à la fin du
mois de mai. Dans le contexte de grèves dans les raffineries et les
transports, il qualifie la CGT de syndicat à la dérive qui se
radicalise, réclame le retour à l'état de droit, exhorte à ne pas
céder au chantage, aux violences, aux intimidations et à la
terreur, avant de dénoncer des minorités qui se comportent comme
des voyous et des terroristes. Porté à la tête du Medef par
l'IUIM, une des fédérations les plus anciennes, les plus dures et les
plus controversées du patronat français, le patron des patrons a mis
la barre très haute
en comparant les militant-es de la CGT à des terroristes. Quelques
mois seulement après les
attentats de Paris, la démesure de Pierre Gattaz a suscité des condamnations un peu gênées dans la classe politique. Ainsi la Ministre du Travail, Myriam El Khomry, s'est démarquée pour la forme du président du Medef en déclarant qu'elle ne « partageait absolument pas ces mots ». Pourtant celle-ci, tout comme le Premier Ministre Manuel Valls, a utilisé un champ lexical très proche. Dans un discours à l'Assemblée Nationale fin mai, le Premier Ministre affirmait que la CGT était dans un processus de radicalisation, suivi par sa Ministre du Travail presque mots pour mots. Myriam El Khomry parlait également de prise d'otages à propos des grèves, suivie par de nombreux membres de la majorité comme de l'opposition.
attentats de Paris, la démesure de Pierre Gattaz a suscité des condamnations un peu gênées dans la classe politique. Ainsi la Ministre du Travail, Myriam El Khomry, s'est démarquée pour la forme du président du Medef en déclarant qu'elle ne « partageait absolument pas ces mots ». Pourtant celle-ci, tout comme le Premier Ministre Manuel Valls, a utilisé un champ lexical très proche. Dans un discours à l'Assemblée Nationale fin mai, le Premier Ministre affirmait que la CGT était dans un processus de radicalisation, suivi par sa Ministre du Travail presque mots pour mots. Myriam El Khomry parlait également de prise d'otages à propos des grèves, suivie par de nombreux membres de la majorité comme de l'opposition.
Le
discours produit par le pouvoir fut relayé en boucle et repris à
son compte sans aucune distance par les grands médias télévisuels
et par les éditorialistes des grands titres de presse, donnant une
impression de lynchage politique et médiatique. En plus d'un champ
lexical renvoyant au terrorisme, la communication du gouvernement a
pris soin de pilonner la CGT et son secrétaire général à chaque
fois qu'elle en a eu l'occasion. Là aussi, les médias, l'opposition
parlementaire et le patronat s'expriment à l’unisson. Une partie
de ce discours s'est attaché à disqualifier la contestation du
projet de loi, particulièrement au moment des grèves. Manuel Valls
parlait de chantage à propos de cette forme de contestation, le
ministre des finances d'alors, Michel sapin, évoquait des blocages
illégitimes pendant que le Président de la République pointait des
blocages d'une minorité. Les éditorialistes et les spécialistes
invités sur les plateaux télés sonnèrent la charge sur une CGT
dont les effectifs ne représenteraient pas les salariés, en prenant
comme unité de mesure ses adhérents, laissant de coté les
élections professionnelles qui mesurent son audience, notamment les
élections prud’homales. Dans la même veine il fut donné à
penser que l'objectif poursuivi par la CGT n’était pas le retrait
de la loi, mais que celle ci s'était lancé dans la bataille
seulement pour des raisons internes et d'audience auprès des
salariés.
La
CGT a été également particulièrement bousculée sur le terrain de
la violence et des affrontements entre une partie des manifestant-es
et les forces de police. Alors que de nombreux éléments tendent à
accréditer la thèse selon laquelle le gouvernement a volontairement
provoqué des situations de tensions (1), la CGT fût tantôt sommée
par le gouvernement ou les journalistes de se justifier ou de
condamner, mais aussi de mieux gérer le maintien de l'ordre, tantôt
accusée de complicité, de complaisance et en tout état de cause
d'être la responsable de cette situation. Comme si cela ne suffisait
pas, pour siffler la fin du mouvement, la CGT a été accusé de
fuite en avant, de jusqu'au boutisme et in fine d'irresponsabilité.
Elle fut ainsi accusée directement ou indirectement de briser
l'unité du pays autour de ses institutions dans une période où le
pays fait face à la menace terroriste. Ce thème a été abordé de
façon très virulente lorsque la CGT a dénoncé les violences des
forces de l'ordre, notamment quand une de ses fédérations a publié
une affiche avec un visuel explicite. En poursuivant la contestation
par les voies syndicales classiques que sont les manifestations et
les grèves, alors que le texte était toujours au Parlement, elle
devint responsable de tous les maux : des violences, de gâcher
l'Euro, de retarder la reprise économique - le « ça va
mieux » de Hollande - et enfin de fragiliser le pays qui est
alors sous le régime de l'état d'urgence, puis en proie aux
inondations en région parisienne.
La
CGT fut aussi, comme l'ensemble du mouvement de contestation de la
loi travail, confrontée aux pratiques musclées de l'Etat. Le
Premier Ministre a menacé de réquisition les travailleurs des
raffineries, se mettant dans les pas de Nicolas Sarkozy qui avait eu
recours à cette mesure controversée en 2010 dans le cadre des
mobilisations contre la réforme des retraites (2). Plusieurs
barrages et piquets de grève tenus par des syndicalistes ont été
levés par la force suite à l'intervention des gardes mobiles ou des
CRS, comme à Fos-sur-Mer, à Douchy les Mines ou encore au Havre.
Pendant les manifestations, les cortèges de la CGT et ses militants
n'ont pas été épargnés. Le 1er mai, journée internationale de
lutte des travailleurs, le cortège fut coupé en deux par les forces
de l'ordre. Le symbole fut marquant. A plusieurs reprises, dans
plusieurs villes, les cortèges syndicaux se sont vus dans
l'impossibilité d'aller au terme des parcours déposés des
manifestations du fait de tirs de barrage de lacrymogènes empêchant
d'accéder aux lieux de dispersion. Les arrestations provocatrices
aux abords des cortèges syndicaux ou au moment de la dispersion ont
également été nombreuses. Enfin, le gouvernement a tenté
d'interdire la manifestation syndicale du 23 juin à Paris, ce qui
représentait une première depuis la guerre d’Algérie (3).
Globalement la CGT a eu à subir tout au long du mouvement,
pressions, provocations et répressions. Évidement, toutes ces
formes de répressions ont été encore plus massivement utilisées
sur les franges les plus radicales ou tout simplement moins
organisées ou plus spontanées du mouvement, comme la jeunesse, mais
leur utilisation contre la première organisation syndicale du pays
n'est pas un fait anodin.
Des
stratégies gouvernementales novatrices
S'il
est assez commun d'observer ces stratégies de communication et de
répression lors de tous les mouvements sociaux d'importance, il est
plus rare de les voir utilisées par un gouvernement de gauche dans la
mesure où il y est moins souvent confronté. Non que la gauche n'ait
jamais utilisé la force publique contre des mouvements sociaux !
Le gouvernement Rocard y a eu recours en octobre 1991 contre les
infirmières en utilisant des canons à eau, de même que Lionel
Jospin lorsqu'il était Premier Ministre d'un gouvernement de gauche
plurielle, contre le mouvement altermondialiste. Mais ce type de
manœuvres n'avait jusqu'alors jamais été appliqué à une si vaste
échelle sous la Vème République, ni sur un mouvement d'une aussi
grande ampleur, que cela soit par un gouvernement de gauche ou de
droite. Surtout, le fait que ces moyens de communication et de
répression prennent pour cible la principale force structurante de
la contestation, plutôt que ses marges, représente une première.
En règles générales, lorsqu'un gouvernement est confronté à un
mouvement d'ampleur, il cherche à stigmatiser des éléments
minoritaires, utilisés comme repoussoir, en s'attachant à les
séparer des éléments majoritaires avec lesquels le dialogue doit
rester ouvert. Dans ces cas là, le péril gauchiste, anarchiste ou
autonome est le plus souvent mobilisé à cet effet. Pointer ces
groupes politiques minoritaires, déjà relativement isolés dans la
société, permet de justifier l'usage de la répression. Celle-ci
remplit alors ses fonctions qui sont de diviser le mouvement tout en
freinant ses possibilités de développement et d'élargissement. Les
tensions lors des manifestations ont lieu d'ordinaire en fin de
cortège ou après la dissolution par les organisateurs. Parfois, ce
sont des catégories de salariés qui sont pointés du doigt sur le
thème des privilégiés ou du corporatisme afin d’empêcher tout
sentiment d'identification, mais jamais jusqu'ici des organisations
ouvrières de masse dans leur ensemble. Il s'agit là d'un changement
notable, qui tend à pousser la CGT à la marge voir au banc de la
société. Que cette option novatrice ait été prise par un
gouvernement socialiste montre autant son adhésion totale à la
logique de l'économie de marché que sa déconnexion avec ses
anciennes bases ouvrières et les organisations qui les structurent.
Appliquer
à la CGT les méthodes habituellement réservées aux franges les
plus radicales des mouvements sociaux interroge sur les intentions
politiques du pouvoir. Manuel Valls a été en pointe dans cette
stratégie de confrontation avec la CGT, personnalisant
l'affrontement. L'autoritarisme dont le Premier Ministre est souvent
accusé, peut expliquer partiellement les postures parfois martiales
qu'a pris l'exécutif face à la CGT et à la mobilisation contre la
loi travail en général. La ligne du Premier Ministre qui vise à
une recomposition politique après 2017 parfaitement illustrée par
ses déclarations de la mi-juin sur sa volonté de voir « une
clarification à gauche et une clarification dans le syndicalisme »
peut aussi donner le sentiment que sa vision personnelle de l'avenir
a déterminé les choix du gouvernement. Pourtant, aucun rappel à
l'ordre ou aucune voix réellement discordante ne s'est faite
entendre ni dans le gouvernement ni au sommet de l'Etat. Le choix
d'isoler et de pilonner la CGT fut à n'en pas douter un choix
politique collectif. Par ailleurs, les rangs de l'opposition de
droite ne sont pas non plus montés au créneau pour reprocher sa
posture au Premier Ministre et sa gestion rugueuse du conflit,
dessinant une large communauté de vues dans la classe politique
prétendant à l'exercice du pouvoir. En réalité, l'exécutif a
voulu infliger une défaite cinglante à la CGT et à la ligne
défendue par son nouveau secrétaire général.
Affaiblir
la CGT pour affaiblir la portée des conflits sociaux
Après
l'épisode traumatique de l’ère Lepaon, la nouvelle direction
confédérale élue début 2015 et confirmée lors de son congrès à
Marseille en plein mouvement sur la loi travail, a pris une
orientation plus ancrée dans les luttes et a partiellement tourné
le dos à la stratégie du syndicalisme rassemblé qui faisait de
l'alliance avec la CFDT, deuxième confédération syndicale du pays,
un incontournable. Contrairement à ses prédécesseurs, son
Secrétaire Général, Philippe Martinez, s'est rendu sur les piquets
de grève, donnant un signal fort aux militant-es d'une direction
engagée dans la bataille. L'implication effective de la CGT pour
faire échec à la mise en place de la loi travail fut une mauvaise
nouvelle pour le gouvernement. En effet, la CGT est une organisation
charnière dans le champ syndical. Comme ses consœurs en Europe (UGT
ou Commissions Ouvrières espagnoles et CGIL italienne) et comme la CFDT
en France, elle s'est en partie engagée, malgré des contradictions
internes, sur la voie de l'intégration aux rouages de l'économie de
marché et aux règles de la régulation sociale fixées par les
institutions, perdant une partie de sa capacité d'action pour
contrecarrer les restructurations du capitalisme . Cependant la CGT
n'a pas été totalement digérée et conserve un ancrage dans les
luttes sociales. De par sa taille elle est la seule organisation
syndicale qui a une surface et une implantation lui permettant encore
de proposer de bloquer l'économie du pays et de contrer les volontés
du pouvoir à accompagner les restructurations du capitalisme que met
en œuvre le patronat.
L'enjeu
pour le gouvernement fut de remettre la CGT dans le droit chemin de
l'intégration et de la négociation en la menaçant de
marginalisation. Le traitement spécifique auquel elle a eu droit
visait à affaiblir l'orientation prise par sa direction en lui
infligeant une lourde défaite. En étant inflexible sur la loi
travail, le gouvernement faisait passer le message aux syndicalistes
comme à l'ensemble des salariés que l'option combative n'amène pas
de résultats. L'agressivité vis à vis de la CGT lui permettait de
montrer que la confédération avait plus à perdre qu'à gagner dans
ce combat. C'est cette place charnière de la CGT qui explique que
les attaques aient été centrées sur elle plutôt que sur Force
Ouvrière ou Solidaires. Le gouvernement s'est en même temps attaché
à réduire au maximum le rapport de force contre la loi travail en
déminant le terrain. D'abord en décrochant dès le mois de mars la
CFDT, puis les associations étudiantes comme la FAGE, ensuite en
annonçant des mesures en faveur des jeunes, puis des fonctionnaires
en relevant le point d'indice gelé depuis des années, enfin en
favorisant des accords sectoriels avec les routiers, les
intermittents ou les cheminots pendant les grèves. En infligeant une
défaite aux opposants à la réforme du code du travail, le
gouvernement espère donner un coup de pousse aux organisations
syndicales favorisant l'accompagnement. Il compte ainsi peser pour
accentuer les reculs électoraux de la CGT dans plusieurs secteurs au
bénéfice de la CFDT, et parie sur une redistribution des cartes
dans le monde syndical qui soit plus favorable au pouvoir.
Redessiner durablement le paysage syndical lui permettrait
d'affaiblir les capacités d'expressions et de nuisances des conflits
sociaux.
Tous
les signes ont été donnés pendant la loi travail à la CGT pour
lui signifier qu'il ne lui serait pas fait de cadeaux. Mais ce
nouveau traitement avait commencé avant la contestation de la loi El
Khomry et s'est poursuivie après la suspension des manifestations
cet été. Déjà en octobre 2015, Manuel Valls et Emmanuel Macron
étaient montés au créneau pour fustiger les syndicalistes lors du
conflit d'Air France et de l'épisode de la chemise arrachée. Un
traitement spécial était aussi réservé aux militants CGT de
Goodyear, puisque le procureur général s'était substitué à
l'entreprise pour les poursuivre pour séquestration, entraînant
leur condamnation début 2016. Après la fin des manifestations, la
Ministre du Travail a maintenu le licenciement d'un syndicaliste CGT
d'Air France malgré l'opposition de l'inspection du travail. A la
fin du mois d'août, c'est au tour de deux militants CGT du port du
Havre d'être arrêtés par des policiers dépêchés de Paris. Ils
sont accusés d'avoir commis des violences lors des manifestation du
mois de juin. Ces mauvais coups, infligés à la CGT et à ses
militant-es durant l'été, montrent que la stratégie du
gouvernement reste inchangée et ne devrait pas se démentir avec la
reprise des mobilisations programmée le 15 septembre si celles-ci
reprennent de la vigueur.
(1)
Le dossier de repoterre sur les violences policières, ainsi que de
nombreux témoignages de manifestant-es, donne des éléments
accréditant la thèse qu'une stratégie délibérée a été mise en
place dès les premières manifestations pour susciter des
affrontements entre la police et les manifestants. .
(2)
En 2010, l'Organisation Internationale du Travail avait épinglé la
France pour sa décision de réquisitionner des salariés des
raffineries prise par le gouvernement Fillon, jugeant qu'elle portait
une atteinte grave aux libertés syndicales.
(3)
La dernière manifestation syndicale interdite en France remonte au 8
février 1962. Appelée par la CGT et des partis de gauche, cette
manifestation contre le fascisme et pour la paix en Algérie avait
été réprimée par la police, causant la mort de 8 manifestant-es
au métro Charonne.
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